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Un Dieu qui se cache

« Comment parler aujourd’hui de vie intérieure ou de vie spirituelle? Comment parler de Dieu dans un univers culturel où il n’est plus présent?» Telles sont les questions que s’est posées Yvan Mudry lors d’une conférence donnée le 14 janvier 2025 à Fribourg. L’essayiste a souligné l’importance du désir de Dieu, qui nous porte vers lui même lorsque sa figure s’efface et que nous ne savons plus rien de lui.

Il relève que pour être crédible dans l’ambiance culturelle d’aujourd’hui, il faut partir de quelque chose que nous vivons presque au quotidien. « Il faut partir d’une expérience pour ensuite tisser un lien avec Dieu. Si ma vie spirituelle n’est pas ancrée dans l’expérience vécue alors ma foi ne sert à rien. La vie spirituelle devrait refléter le quotidien le plus élémentaire. Différentes expériences peuvent servir de point d’appui. Par exemple, l’expérience d’être étranger au monde. Nous avons l’impression parfois de vivre dans un milieu qui n’est pas notre milieu naturel. » Un autre exemple proposé par Yvan Mudry est le bonheur. « Lorsque nous vivons quelque chose qui sort de l’ordinaire, cela peut être un point de départ pour aller vers Dieu. »

Il relève également l’expérience du désir de Dieu, qui est un désir fondamental comme si nous étions habités par une soif. Il illustre ses propos en citant saint Augustin dans Les Confessions :

« Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne demeure en toi. »

Dieu brille par son absence

Cependant, aujourd’hui il remarque que nous vivons une autre expérience, « celle d’une sorte de nuit, de crise globale de nos sociétés : crise écologique, culturelle, sociale, institutionnelle. Pour nos contemporains les mots des textes religieux ne parlent plus. Nous sommes des sociétés de la mort de Dieu. Nous faisons l’expérience de l’absence de Dieu. »

Pourtant, souligne Yvan Mudry, dans mon enfance, j’ai appris que Dieu est partout, au ciel, sur la terre et en tous lieux. « Dans le catholicisme, c’est comme une chose indiscutée, à laquelle on n’a pas besoin de réfléchir : Dieu est présent. Dès lors l’objectif est de retrouver le sens de cette présence. Mais dans une culture marquée par l’athéisme », constate le conférencier, « l’expérience de Dieu la plus commune est sans doute celle de son absence ! »

Le conférencier nous invite à prendre au sérieux ce que nous vivons. « Oui Dieu ne semble pas être là. La tradition spirituelle n’a pas peur de dire que Dieu n’est pas là, qu’il est invisible, qu’il se retire. Le lieu classique, souvent cité par les auteurs spirituels, c’est Isaïe (45, 15) : ‘En vérité, tu es un dieu qui se cache, Dieu d’Israël, sauveur.’ » Dès lors, les réalités creuses sont des lieux privilégiés dans la vie intérieure.

Yvan Mudry, à l’écoute des questions des participants.

Aimer l’absent

Yvan Mudry souligne que les mystiques ont conscience que le désir de Dieu est plus fort lorsque que celui-ci semble s’être retiré. « Mechthild de Magdebourg, moniale du XIIIe siècle, explique que son amour de Dieu s’exacerbe lorsque Dieu est absent. » Le théologien constate qu’au sommet de l’expérience mystique on ne voit rien. « Pour les mystiques, il est normal de ne pas voir Dieu. Dans ce sens Jean de la Croix dit que Dieu est ‘nuit obscure pour l’âme’ ».

« [L’âme doit] désirer avec tout désir de venir à ce qu’elle ne peut savoir en cette vie et qui ne peut tomber en son cœur[…], elle doit désirer avec tout désir de parvenir à ce qui excède tout sentiment et tout goût. » Saint Jean de la Croix

« Maître Eckhart va encore en plus loin. Pour lui, si l’on connaît trop précisément celui qu’on aime on peut en faire une idole. Rien de Dieu ne doit motiver l’amour qui lui est porté.

Citant le décalogue, le conférencier observe que nous ne connaissons pas le nom de Dieu. Nous ne savons pas qui est Dieu, nous ne pouvons pas le savoir. Dans l’Exode il est écrit : « Tu ne te feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre. » (Exode 20, 3-5). « Cet interdit concerne aussi les représentations mentales, les idées, les pensées qui seraient utilisées pour agir sur Dieu », explique Yvan Mudry. « Pour que nous ne puissions pas nous en servir à des fins humaines, de manipulation, de pouvoir. La Bible utilise d’innombrables métaphores : roi, bouclier, rocher, père, juge, source, lumière… Cette multiplicité des appellations témoigne de l’impossibilité de nommer Dieu. »

Les heures de la Passion

« Dieu échappe, on ne le voit pas, dans un sens, il n’est rien. Est-ce que cela ne correspond pas à l’expérience que nous faisons aujourd’hui ? », se questionne Yvan Mudry, qui affirme que ces réflexions lui sont utiles dans sa vie spirituelle. Deux phrases prononcées par Jésus le confortent dans ce chemin.

« Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Marc 15, 34) « Sur la croix Jésus est abandonné de tous, d’abord par les apôtres, puis Pierre et enfin par Dieu. »

La seconde phrase, prononcée au Jardin des Oliviers, invite à être conséquent : reconnaître son ignorance et son impuissance face à Dieu, c’est reconnaître sa pauvreté, sa petitesse. C’est s’abandonner, renoncer à sa volonté personnelle, à toute maîtrise. « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse ! » (Luc 22, 42)

Laisser place à Dieu

Yvan Mudry invite à faire une place au vide dans sa vie. « Je ne suis pas au centre, je ne sais pas grand-chose, je suis largement impuissant. En même temps, je suis précédé, une autre volonté que la mienne passe devant et me dit où aller. » Pour le théologien le vide est nécessaire à la vie spirituelle. Il constate que si tout est plein, il n’y a plus de place pour Dieu. « Comme si le lieu par excellence de la vie spirituelle était quelque chose en creux. Le vide c’est tout un tas de choses. Un premier vide se creuse quand on s’arrête, on interrompt le cours de ses activités. La vie spirituelle exige une certaine forme d’oisiveté. Il nous faut sortir de la maladie de l’action. Accepter de ne pas savoir, de ne pas pouvoir, d’ignorer, d’être impuissant. Le vide c’est l’humilité, l’effacement, le silence, la nuit du désert, la solitude, la sobriété, la lenteur, l’attente, la patience… Il y a des vides qui sont des jachères, des lieux où des choses peuvent advenir. Il y a aussi des vides douloureux. Aujourd’hui on parle de lâcher prise, autrefois on parlait d’abandon, d’indifférence. »

Notre monde actuel s’écroule, nous nous trouvons face à un grand vide. Pour Yvan Mudry c’est une peut-être une chance de purifier notre relation à Dieu, de ne plus adorer une idole. « Le désir de Dieu est sans fin, l’élan spirituel nous porte. Un Dieu qui se cache fait de nous des chercheurs de Dieu. »

Yvan Mudry

Né en 1959 dans le Val d’Hérens, Yvan Mudry a fait des études de philosophie et de théologie à Rome et à Fribourg. De 1988 à 1996, il a été journaliste aux émissions religieuses de la Radio Suisse Romande, à La Liberté, au Bureau de reportage et de recherche d’informations (BRRI), à l’AGEFI et au Journal de Genève. Il a travaillé ensuite à l’Office fédéral des assurances sociales, à Berne, et publié des articles dans les revues Sources, Choisir, Nova et Vetera ainsi que des chroniques dans l’Echo Magazine.

Il a traduit plusieurs livres de l’allemand et publié des recueils de poésie et des essais. Titre de son dernier ouvrage : « Fécondité du vide. L’autre visage de la spiritualité chrétienne », Éd. Saint-Augustin, 2024

Les livres d’Yvan Mudry sont disponibles au prêt et à la vente auprès de La Doc