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Spiritualité de la liturgie de l’Avent : laisser naître en nous le Fils de Dieu

Pour un chrétien, la spiritualité est d’abord la vie nouvelle offerte par le Christ dans l’Esprit Saint : une vie de communion avec Dieu Trinité. Comment la liturgie nourrit-elle cette vie avec Dieu ? Quelle est la foi que nous exprimons lorsque nous prions ? Essayons de le percevoir à partir du temps de l’Avent.

Les avènements du Christ

Le temps de l’Avent nous prépare à l’avènement du Christ, que nous célébrons à Noël. Mais de quel(s) avènement(s) s’agit-il ? L’une des préfaces du temps de l’Avent, que le prêtre prononce avant la consécration de la messe, en mentionne deux :

Vraiment, il est juste et bon…
Car [Jésus-Christ] est déjà venu, en assumant l’humble condition de notre chair,
pour accomplir l’humble dessin de ton amour,
et nous ouvrir à jamais le chemin du salut ;
il viendra de nouveau, revêtu de sa gloire,
afin que nous possédions dans la pleine lumière les biens que tu nous as promis
et que nous attendons en veillant dans la foi.
C’est pourquoi, avec les anges et les archanges…

1e préface du temps de l’Avent (jusqu’au 16 décembre)

Cette préface souligne la double caractéristique du temps de l’Avent : il nous prépare à Noël, où l’on commémore le premier avènement du Fils de Dieu dans notre chair, il y a 2’000 ans ; il oriente aussi nos regards vers son second avènement dans la gloire, à la fin des temps. Un Père de l’Église du IVe siècle, saint Cyrille de Jérusalem, a consacré à ces deux avènements une magnifique catéchèse que nous pouvons lire à l’office des lectures du 1er dimanche de l’Avent (voir ici).

Pour désigner ces avènements, le latin utilise un terme profane se rapportant à la venue d’un personnage important ou d’une divinité : adventus, qui a donné le mot « Avent ». Dans le Nouveau Testament, on trouve l’équivalent grec parousia, qui a donné parousie (cf. Jn 5, 8), ainsi que quelques expressions proches comme « jour du Seigneur » (cf. 1 Th 5, 2), « révélation » (cf. 1 P 1, 13) ou « manifestation » (cf. 1 Tim 6, 14).

Le premier avènement

La première venue du Christ s’inscrit dans l’histoire d’Israël. Au moment où Israël a presque tout perdu, Dieu promet par ses prophètes une alliance nouvelle (cf. Jr 31, 31). Cette promesse culmine dans l’attente du Messie et de l’effusion d’un Esprit nouveau. On le perçoit dans les premières lectures des messes de l’Avent, tirées des prophètes, en particulier Isaïe, le plus cité dans le Nouveau Testament et le véritable prophète de l’Avent – avec Jean-Baptiste.

Le livre d’Isaïe comporte trois parties datant d’époques différentes. On y trouve des images variées : le rassemblement des nations à Jérusalem (Is 2), la vierge enceinte d’un fils (Is 7), le rameau qui sort de Jessé (Is 11), la préparation du chemin du Seigneur (Is 40), la descente du Seigneur comme la rosée (Is 45), sa gloire qui se lève sur Jérusalem (Is 60), la venue de son Esprit sur celui qu’il consacre (Is 61). La liturgie synthétise l’espérance de ces prophéties et en donne le sens profond : leur réalisation dans le Christ. Ainsi, le vendredi de la 1e semaine de l’Avent, la prophétie sur les aveugles qui verront (cf. Is 29, 18) est mise en parallèle avec la guérison des aveugles par Jésus (cf. Mt 9, 27-31). Avec l’Incarnation du Fils de Dieu, la promesse entre dans une dynamique d’accomplissement.

À partir du milieu du temps de l’Avent, des figures marquent la rencontre entre l’attente d’Israël et son accomplissement dans le Christ : Marie, Joseph, Elisabeth, mais surtout Jean-Baptiste, qui achève la longue lignée des prophètes. Dans les quatre évangiles, sa mission est explicitée par une citation d’Isaïe, que l’on entend le 2e dimanche de l’Avent B : « Une voix proclame : Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu » (Is 40, 3). Jean oriente l’attente d’Israël et prépare l’avènement du Messie (cf. Ac 13, 24). L’une des préfaces de l’Avent s’en fait l’écho :

Vraiment, il est juste et bon…
[Jésus-Christ] est celui que tous les prophètes avaient annoncé,
celui que la Vierge Mère attendait dans le secret de son amour,
celui dont Jean Baptiste a proclamé la venue et manifesté la présence.
C’est lui qui nous donne la joie d’entrer déjà dans le mystère de Noël,
pour qu’il nous trouve, quand il viendra, vigilants dans la prière et remplis d’allégresse.
C’est pourquoi, avec les anges et les archanges…

2e préface du temps de l’Avent (dès le 17 décembre)

En désignant celui qui vient (cf. Jn 1, 27, 3e dimanche de l’Avent B), Jean-Baptiste fait sienne la parole du psalmiste : « Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! » (Ps 117 [118], 26). Les foules reprendront cette acclamation à l’entrée de Jésus à Jérusalem (cf. Mt 21, 9) ; c’est d’ailleurs cette page d’évangile qui ouvrait le temps de l’Avent au haut Moyen Âge. La liturgie nous invite donc à faire mémoire de l’attente d’Israël : une attente nourrie des merveilles que Dieu a réalisées (passé), sûre de sa présence fidèle (présent) et porteuse de l’espérance de le voir (futur). Les grandes antiennes du Magnificat des vêpres, du 17 au 23 décembre, offrent une synthèse de cette attente messianique à travers des images de l’Ancien Testament appliquées au Christ : Ô Sagesse, Ô Rameau de Jessé, Ô Soleil levant, Ô Emmanuel, etc.

Le second avènement

Depuis le premier avènement et la Pâque du Christ, le Royaume de Dieu est entré dans l’histoire. Mais il n’est pas encore achevé : selon l’expression souvent citée du théologien luthérien Oscar Cullmann, il est « déjà là et pas encore ». L’attente chrétienne est l’attente de l’achèvement du Royaume (« Que ton règne vienne », Mt 6, 10) par le retour du Christ (« Viens, Seigneur Jésus », Ap 22, 20). C’est le temps de l’Église, un temps comparable à un « grand Avent » selon les mots du cardinal Jean Daniélou.

Ce sont surtout les discours eschatologiques de Jésus dans les synoptiques qui nous parlent de ce second avènement, ou parousie (le mot grec eschatos désigne ce qui vient en dernier). L’année A, nous entendons les paraboles tirées de Mt 24-25 (trois derniers dimanches du temps ordinaire et 1er dimanche de l’Avent) ; l’année B, les paraboles tirées de Mc 13 (33e dimanche ordinaire et 1er dimanche de l’Avent) ; l’année C, l’enseignement de Jésus sur la chute du Temple et la fin des temps (33e dimanche ordinaire et 1er dimanche de l’Avent). Ces discours relisent les prophéties d’Ézékiel (année A), Daniel (année B) et Malachie (année C).

Les extraits du corpus paulinien que nous entendons durant la même période développent différentes attitudes liées à cette attente (cf. Rm 13, 1 Co 15, 1 Th 3-5, 2 Th 2-3). Ils répondent aux évangiles, dans lesquels le Seigneur nous invite à vivre dans la vigilance et la justice. La vigilance se rapporte au comportement du serviteur de la parabole (cf. Mt 25, 23, 33e dimanche ordinaire A) : suivre le Seigneur et conformer notre vie à la sienne, dans l’attente de son retour. Quant à la justice, sa mesure est donnée par la parole de Jésus : « Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait » (Mt 25, 45, Christ-Roi A). C’est dans cet état de justice que le Seigneur s’attend à nous trouver : « Tu viens rencontrer celui qui pratique avec joie la justice, qui se souvient de toi en suivant tes chemins » (Is 64, 4, 1e dimanche de l’Avent). Les prières de la messe y font souvent référence :

Donne à tes fidèles, Dieu tout-puissant,
la volonté d’aller par les chemins de la justice à la rencontre de celui qui vient, le Christ,
afin qu’ils soient admis à sa droite
et méritent d’entrer en possession du royaume des Cieux.

Prière d’ouverture de la messe du 1er dimanche de l’Avent


Un motif iconographique repérable dans les mosaïques antiques – l’hétimasie – donne une représentation suggestive de cette attente : il s’agit de la représentation d’un trône vide, préparé pour le retour du Christ.

La venue du Christ aujourd’hui

Entre ces deux avènements, saint Bernard de Clairvaux, le grand réformateur cistercien du XIIe siècle, en identifie un troisième : la venue du Christ dans nos cœurs, par sa Parole et ses sacrements. Nous pouvons lire un extrait de son œuvre à l’office des lectures du mercredi de la 1e semaine de l’Avent (voir ici). Saint Bernard inscrit sa réflexion dans cette parole de Jésus : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » (Jn 14, 23). Cette venue du Seigneur peut être mise en relation avec les « aujourd’hui » de la liturgie, par exemple la prière d’ouverture de l’Épiphanie : « Aujourd’hui, Seigneur notre Dieu, tu as révélé ton Fils unique aux nations… ».

Le temps de l’Avent nous prépare ainsi à ce que nous célébrons durant le temps de Noël : le Christ qui est venu, qui reviendra, et qui vient chaque jour en nos cœurs si nous lui ouvrons la porte (cf. Ap 3, 20) en l’accueillant par la foi, l’espérance et la charité. Le mystère de Noël se réalise donc pleinement lorsque nous laissons naître en nous le Fils de Dieu (Cf. Catéchisme de l’Église catholique, n° 526). Dans l’une de ses homélies, le pape Benoît XVI en parle comme d’une « incarnation spirituelle ». Lorsque ce mystère d’union au Christ sera réalisé en nous, nous pourrons dire, avec saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).

Cette espérance s’inscrit dans l’œuvre de Création. Lors de l’une de ses premières audiences, saint Jean-Paul II notait ainsi que « si Dieu vient vers l’homme, c’est parce qu’il a préparé dans son être une « dimension d’attente » à travers laquelle l’homme peut « accueillir » Dieu et devient capable de le faire ». Cette dimension d’attente se situe dans la création de l’homme à l’image de Dieu (cf. Gn 1, 26) et dans la volonté de Dieu de sauver tous les hommes (cf. 1 Tim 2, 4). Le christianisme est donc l’Avent lui-même, c’est-à-dire la venue de Dieu vers l’homme. Quant à notre venue vers Dieu, elle est ce chemin de sainteté sur lequel nous faisons route depuis notre baptême. Un chemin d’Avent pour toute notre vie, à la rencontre du Christ qui vient sans cesse nous rendre visite et qui devrait nous trouver, « quand il viendra, vigilants dans la prière et remplis d’allégresse » (2e préface de l’Avent).

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