Un audioguide pour la chapelle de Montban
L’Association des Amis de la Chapelle de Montban, fondée en 2015, a travaillé activement à la récolte de fonds pour la restauration de ce lieu précieux pour les habitants de la région.
Publié le 13 juillet 2022
Les paroissiens de Semsales (FR) chérissent aujourd’hui la fresque de la Trinité de Gino Severini, visible dans leur église. Cette magnifique œuvre d’art a pourtant bien failli disparaître suite à une «fronde» théologique, il y a près d’un siècle.
Trois personnages semblables, en toge blanche, entourés d’anges multicolores, trônent au-dessus de l’autel de l’église de Semsales. Chacun d’eux est doté d’un attribut particulier, une croix, un globe terrestre et une colombe. Il s’agit du Fils, du Père et du Saint-Esprit.
«Aujourd’hui cela ne choque plus personne», remarque Dominique Fabien Rimaz. Le vicaire de la paroisse veveysanne veut parler de la représentation de l’Esprit-Saint par une figure humaine. Une «innovation» qui a presque été fatale à l’oeuvre. «On a eu chaux», plaisante l’abbé Rimaz. Car c’est de cette matière que l’on voulait recouvrir la fresque, afin qu’elle cesse de heurter la foi des fidèles.
La Trinité «triandrique» a été réalisée entre 1925 et 1926, en même temps que la construction de la nouvelle église de Semsales, décidée quelques années plus tôt. A l’heure de choisir le style de l’édifice, l’architecte romontois Fernand Dumas fut choisi. Déjà bien connu à l’époque, il était l’un des pères du groupe St-Luc. Ce mouvement artistique, créé en 1919, regroupait des artistes, des architectes et des intellectuels catholiques, qui avaient décidé de renouveler l’art sacré en Suisse romande. Fernand Dumas essayait de collaborer avec les meilleurs artistes de l’époque. C’est ainsi qu’il engagea le peintre italien Gino Severini, avec d’autres artistes de renom tels Louis Vonlanthen, François Baud, ou encore Alexandre Cingria, puis Yoki Aebischer pour d’autres édifices.
La fresque de Semsales sera l’une des premières œuvres majeures d’inspiration religieuse de Gino Severini. En 1934, il réalisera la grandiose fresque de la basilique Notre-Dame de Lausanne. Né en Toscane en 1883, le peintre n’était pas forcément destiné à décorer les églises. Nourri à l’école du futurisme et du cubisme, il est revenu à un style plus classique et figuratif suite une conversion fulgurante au catholicisme. Il a déployé à partir de là son talent principalement dans le domaine de l’art sacré.
Dans cette Veveyse rurale des années 1920, ce peintre non fribourgeois, ni même suisse, est accueilli avec perplexité. «Severini a été un peu malheureux à Semsales. Il y a habité quelques années comme un artiste secret et incompris», explique l’abbé Rimaz. Il devait également vivre avec l’hostilité des autres artistes fribourgeois «éconduits».
Faut-il voir là les causes de «la fronde» qui a visé la fresque peu après la consécration du nouveau lieu de culte, en 1926? On ne peut le dire avec certitude. Toujours est-il qu’en 1928, un «délateur» anonyme fustige l’œuvre de Severini auprès de l’autorité romaine. «Une lettre a été envoyée au Vatican dénonçant la non-conformité de la fresque avec l’iconographie traditionnelle», raconte l’abbé Rimaz. L’Esprit-Saint était en effet traditionnellement représenté par une colombe volant au-dessus du Père et du Fils crucifié. Sa représentation humaine était perçue comme faisant courir le risque d’une foi «polythéiste» pouvant mener à une hérésie. «On peut penser que Severini n’a pas voulu représenter une colombe par souci de nouveauté, mais peut-être aussi parce qu’il préférait peindre les êtres humains que les animaux. Ce que son œuvre tend globalement à démontrer», note le prêtre fribourgeois. Arrivé dans la paroisse en 2021, il explique avoir été lui-même très impressionné par l’œuvre et avoir entrepris des recherches sur son auteur.
Les arguments sur la dimension «hérétique» de la fresque trouvent une oreille attentive à Rome. Le 19 avril 1928, un décret romain ordonne l’effacement de la fresque. La Trinité a cependant des partisans dans le diocèse. L’évêque de l’époque lui-même, Mgr Marius Besson est un ‘afficionado’ du groupe St-Luc. Il tente de sauver l’œuvre en plaidant sa cause auprès de Rome, mettant notamment en avant l’aspect économique de l’affaire. Le Saint-Office ne veut cependant rien entendre.
Il faudra le recours de l’abbé Journet, théologien et futur cardinal, pour faire basculer la situation. Il défend la peinture incriminée en se référant à un texte de Benoît XIV (1740-1758) laissant la liberté de représenter la Trinité ainsi, parce que certains Pères de l’Eglise avait vu le symbole des trois Personnes divines dans les trois anges qui apparurent sous forme humaine à Abraham. Il parvient également à retrouver des œuvres anciennes représentant le Saint-Esprit sous forme humaine. Notamment une miniature du 15e siècle dans un livre des heures de Jean Fouquet, ainsi qu’une représentation dans la basilique Ste-Marie-Majeure à Rome. La démonstration de ces précédents font finalement plier Rome, qui annule le décret.
Le débat est aujourd’hui obsolète dans le village veveysan, note Dominique Fabien Rimaz. «Tout le monde ici est fier de cette belle église et de cette belle fresque. Mais l’histoire est encore dans les esprits, si bien que c’est la première chose que l’on m’a racontée lorsque je suis arrivé ici». Le fait que l’œuvre soit une «miraculée» la rend peut-être, pour les paroissiens de Semsales, encore plus spéciale et précieuse. (cath.ch/rz)